Un peu de lecture…

Entretien avec Jacky Essirard – Editions L’Atelier de Villemorge 

 

Pouvez-vous vous présenter et présenter votre parcours ?

Je m’appelle Jacky Essirard, j’ai fait des études de droit puis j’ai travaillé dans une compagnie d’assurances. J’étais chargé du règlement des dossiers suite notamment à des incendies. En parallèle j’ai toujours eu des activités artistiques, que ce soit l’écriture, la peinture ou la gravure. Dans les années 80 j’ai rencontré Jean Marcourel qui était éditeur (éditions Petits classiques du grand pirate). Il m’a donné accès au monde des livres différents de ceux que publient les grandes maisons d’édition. Grâce à lui, j’ai pu rencontrer trois poètes Guillevic, Bernard Noël et Serge Pey. Mon premier livre d’artistes c’était avec Olivier Hobé à Quimper, on a fait un tirage au plomb sur une presse à épreuves chez le peintre graveur Yves Doaré. Ce n’est pas mon métier, j’ai une approche artistique de la question, expérimentale, pas commerciale. Je fais environ 3 livres d’artistes par an, je suis généralement l’illustrateur mais il m’arrive d’être le poète.

 

S’agissant de vos études, aviez-vous pensé à vous lancer dans un parcours plus littéraire ?

Pas de vocation littéraire au départ, une envie d’écrire comme certains adolescents sans penser en faire un métier. J’étais davantage attiré par les Beaux-Arts, mais j’étais jeune, et quand j’ai dit à mon père que j’allais faire les Beaux-Arts, il m’a dit « tu te débrouilles tout seul ». J’avais 17 ans, je me suis dit que j’allais aller en droit, c’était beaucoup plus facile. Je dessinais dans mon coin en me disant : « les Beaux-Arts ce sera pour plus tard ». Puis finalement, quand on prend une route, on est un petit peu contraint. Je suis retourné aux cours du soir 20 ou 30 ans après mais ça ne m’intéressait plus car ça avait beaucoup évolué par rapport à mon époque. Quand j’étais jeune on était encore dans le dessin et la peinture, progressivement les Beaux-Arts ont bifurqué vers la vidéo, l’audiovisuel, et je ne m’y suis plus retrouvé. Ce n’était peut-être pas si mal d’avoir raté les Beaux-Arts…

 

Vous avez toujours dessiné et peint ?

Oui toujours, j’ai toujours dessiné, fait de la musique, peint, toujours écrit. Je suis multitâche ! Je m’amuse, ma journée est partagée entre la peinture et puis l’écriture, les livres d’artistes. Quand j’en ai marre de peindre je file faire autre chose, je fais un peu de musique, 2-3 chansons et hop ! Il faut vivre en s’amusant, c’est important.

 

Avez-vous déjà édité des livres, travaillé avec un éditeur ?

Oui. J’écris, des poèmes, des nouvelles, j’ai deux romans qui ont déjà été publiés, dans une maison d’édition située près de Montpellier, qui s’appelle Yovana et j’ai un roman qui va sortir au mois d’avril, à la Part Commune, qui est à Rennes.

Autrement je fais aussi des livres d’artistes notamment avec les éditions Collodion, où le dernier ouvrage avec Paul Louis Rossi Apocalypse a été tiré au plomb avec des gravures sur bois.

 

Est-ce qu’un livre, pour être appelé comme tel, doit être édité à plusieurs exemplaires ? En somme, est ce qu’un livre est avant tout fait pour être lu ?

C’est compliqué, parce que tout seul on peut écrire son journal et le faire imprimer en un exemplaire. Est-ce que c’est un livre ? Physiquement ça y ressemble. Mais est-ce que c’est un livre dans la mesure où vous l’avez gardé dans votre tiroir ? Objectivement c’est un livre, mais il manque la diffusion. Mon opinion c’est que tout peut faire un livre, mais il n’en sera vraiment un que s’il est diffusé, s’il se frotte aux regards extérieurs.

Est-ce qu’un livre doit être lu, c’est une question philosophique. Il y a des livres interdits d’être lus par la censure, pourtant un jour ils sortent de l’armoire. C’est la même chose pour le livre objet : quand vous avez un morceau d’ardoise en forme de livre, est ce que c’est un livre ? On peut appeler ça un livre objet, moi j’appelle ça une sculpture.

 

Est-ce que ce qui définit le livre, c’est le contenu, ou l’aspect physique ?

A mon avis c’est plutôt le contenu. Il y a maintenant des Ebooks, des liseuses qui remettent en question le format livre. Dans ce sens, un livre objet qui n’aurait que des feuillets vierges, sans texte, ne serait pas un livre. L’ambiguïté c’est ça : à partir de quel moment un livre devient autre chose qu’un objet ? C’est difficile à déterminer.

Dans une sculpture, il y a le regard qui fonctionne, et ensuite on réfléchit, on se demande ce que l’artiste a voulu dire, on se questionne. Dans le livre, l’auteur parle, il donne des pistes. L’auteur intervient presque comme un « précepteur ».

 

Pouvez-vous nous dire ce qui diffère selon vous entre un livre en tant qu’objet d’art, un livre précieux et un beau livre ?

Un livre en tant qu’objet d’art : c’est un objet d’art qui prend l’apparence d’un livre. Ça renvoie à la définition d’un objet d’art… et ça rejoint les arts décoratifs. Ça peut-être une sculpture, un papier découpé, des pierres gravées. C’est un livre mis en scène, qui met en valeur le texte et l’image. Ce n’est plus tout à fait un livre mais on peut quelquefois lire et feuilleter. Ça me gêne un peu de considérer un livre comme un objet alors qu’il est beaucoup plus que cela. Il n’est pas là pour être seulement admiré dans une vitrine, il est surtout fait pour être lu et enrichir les émotions, les pensées de ceux qui le lisent. C’est peut-être une conséquence de notre monde qui privilégie l’apparence à l’essence. Le livre comme objet d’art me fait l’effet d’être momifié et catalogué dans les ventes aux enchères entre les vases et les tapis. Pour moi le livre est vivant, il possède une énergie vitale. J’aimerais que l’ajout d’un dessin, d’une gravure, d’une peinture puisse le faire ressembler à une œuvre d’art plutôt qu’à un objet d’art.

Un livre précieux est un ouvrage rare et cher, c’est-à-dire qui a une valeur historique ou sociétale, qui est tiré artisanalement sur beau papier, un témoignage particulier voire unique d’une époque.

Quand on parle de beaux livres tout de suite me vient à l’esprit l’aspect commercial qui, sous couvert d’information, de découverte cache un enjeu financier. C’est un autre domaine, il n’y a que des œuvres reproduites, pas d’originaux sauf en tirage de tête éventuellement.

 

Pouvez-vous nous parler du livre d’artistes ?

Comme son nom l’indique  au pluriel : c’est un livre avec l’intervention de deux artistes, c’est-à-dire qu’il y a à la fois du texte et une œuvre graphique. Au singulier « livre d’artiste », donc un seul intervenant, le texte peut être lui-même une intervention graphique, je pense à Jean Cortot par exemple. Il est tiré à peu d’exemplaires. Les interventions plastiques sont originales : dessins, peintures, gravures. Le procédé n’est pas nouveau mais a pris de l’importance aujourd’hui. Il y a des livres de peintres sans texte, uniquement graphiques qui, pour moi sont aussi des livres d’artiste à la marge. Souvent l’image prévaut, c’est elle que le lecteur voit et apprécie en premier, il faut se méfier et ne pas reléguer l’auteur à l’accompagnement d’une peinture, gravure etc. Dans le livre d’artistes il y a une forte présence des artistes du fait que le texte court est écrit spécialement en miroir avec l’image. Ce sont deux créations qui se complètent sans se copier, il n’y a pas d’explication du texte par l’image ni l’inverse.

C’est plus un livre qu’un objet d’art, pour moi il doit rester modeste et son esthétisme ne doit pas faire oublier le contenu. L’œuvre est une osmose de deux univers qui se parlent, se comprennent, s’équilibrent. Il peut se ranger dans une bibliothèque sans être l’objet d’une présentation ostentatoire en vitrine.

C’est aussi une rencontre entre deux ou trois personnes quand il y a un éditeur. Le choix se fait par affinité. Le point de départ est soit le texte, soit l’image et il se peut que le livre se construise au fur et à mesure par des échanges, chaque artiste apportant à l’autre de la matière pour poursuivre sa création.

 

Le livre d’artistes est-il forcément un livre objet ?

Non, heureusement. Le livre objet c’est tenter une hybridation. On ne sait pas si c’est le livre qui dirige l’ensemble ou si c’est la mise en scène.

Un livre peut être une œuvre d’art sans qu’on ajoute le mot objet. On peut prendre l’exemple de la calligraphie, qui est une forme « d’écriture artistique ». Chez les chinois et les japonais, la calligraphie est un art. Nous avons un système de lettres et de caractères préfabriqués, alors que le calligraphe donne son souffle et inscrit le signe. Avec l’intervention de la machine à écrire, c’est compliqué de dire que c’est une œuvre d’art. Dans ce cas, c’est une œuvre d’art par le contenu mais pas forcément par l’aspect.

 

Est-ce que c’est le texte qui illustre la peinture ou l’inverse ?

Un livre d’artistes n’est pas un livre illustré. Ce sont deux visions d’une même idée, une vision écrite et une vision dessinée. Dans les livres illustrés, l’illustration vient parfois en doublon avec le texte, elle met en image un texte et ça ce n’est pas du tout le propos du livre d’artistes. Le propos du livre d’artistes c’est de partir de domaines voisins, de les faire communiquer et d’obtenir un domaine plus vaste.

 

Dans quels endroits peut-on acquérir un livre d’artistes ? Où peut-on en consulter ?

On ne les trouve pas en librairie, ou bien dans des librairies spécialisées. Il faut aller dans des salons comme le salon PAGE, le plus représentatif du livre d’artistes, et puis autrement par le bouche-à-oreille. Il n’y a pas beaucoup de maisons d’édition qui produisent des livres d’artistes.

On peut en trouver dans des médiathèques, dans les fonds de livre d’artistes. Ça sert de mémoire aussi, pour l’histoire… on sait que deux artistes ont travaillé ensemble. Les livres sont conservés pendant des années, les bibliothèques n’ont pas le droit de jeter ce genre d’ouvrages.

Quelque fois, les maisons d’édition reprennent les textes des livres d’artistes pour en faire des tirages courants.

 

Savez-vous combien ça coûte à une maison d’édition de produire un livre d’artistes ?

Le papier est cher, mais ce qui coûte le plus cher est le temps. On est sur une composition au plomb, donc chaque page est composée et vérifiée. Les auteurs et les illustrateurs ne sont généralement  pas payés, ils sont rémunérés par un certain nombre de livres, en général 1% de la production. Sur un tirage de 35 exemplaires par exemple, l’écrivain en a 3, le peintre en a 3 aussi, il en reste donc une petite trentaine à vendre.

Souvent le prix du livre d’artistes dépend de l’artiste plasticien, si vous faites un bouquin avec Antoni Tapiès, le livre va se vendre peut-être 10 000 euros, si vous le faites avec un artiste très peu connu, ça va être beaucoup moins. La période de production peut durer longtemps, peut être 1 an, ou 2 ans, on n’est pas pressé. C’est un autre monde que l’édition courante.

Ce sont des livres qui coûtent cher, dès que l’éditeur en vend une partie, il rembourse le prix du papier, après il compense les heures et les autres frais comme par exemple le cartonnage, la mise sous emboîtage. Les exemplaires sont souvent achetés par des collectionneurs.

Mais certaines fois les livres ne coûtent rien : les livres pauvres peuvent être réalisés sur des formats A4. C’est surtout le contenu qui est important, pas la couverture

 

Qu’est-ce qu’un livre pauvre ?

C’est un livre d’artistes fabriqué à peu de frais non commercialisé, fait en peu d’exemplaires. C’est Daniel Leuwers qui a développé cette idée. Elle a fait du chemin et se déploie maintenant partout. C’est un livre sans prétention, à la portée de tous, qu’importe le support. Le principe est de garder en tête qu’il s’agit d’une pauvreté de moyens, d’où une écriture manuscrite et des interventions plastiques originales.

Daniel Leuwers est un universitaire qui habite à Tours, il a quasiment inventé le livre pauvre moderne. Il procède par thème. Il envoie quatre feuillets aux artistes (poètes ou peintres) qui choisissent avec qui ils veulent travailler ou s’en remettent à lui pour former le duo. On peut se retrouver avec des inconnus ou des artistes avec qui on n’avait pas encore travaillé. Chacun reçoit des feuillets blancs, un papier classique et peut en faire ce qu’il veut. On peut peindre partout, sans laisser de place à l’écrivain, on peut écrire à sa place. Ce sont souvent des poèmes. Dans les livres d’artistes, ce sont plutôt des textes courts.

Il y a un exemplaire pour celui qui écrit, un exemplaire pour celui qui peint, un exemplaire pour le Prieuré Saint Côme près de Tours, qui conserve les livres pauvres de Daniel Leuwers et un exemplaire qui sert dans des expositions. Daniel Leuwers en tire quelquefois un catalogue. Ce sont des témoignages de l’activité artistique contemporaine, on y trouve des gens très connus et des inconnus.

Ce que j’aime dans le livre pauvre, c’est la simplicité, l’approche. On fait quelque chose de simple, de direct, de rare. Quand on travaille au plomb, ça devient tout de suite un ouvrage de bibliophilie, quand on tire à l’imprimante, on est traités d’amateurs.

 

Le livre pauvre, on sort du livre d’artistes ?

Le livre pauvre, c’est un livre d’artistes pauvres. Je plaisante. Dans ce travail c’est l’idée de la rencontre qui est importante, pas le côté mercantile. Le livre d’artistes pauvre c’est un résumé, un concentré, la moelle du livre d’artistes.

 

 

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MAJ 02-08-2023
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